L’écrit comme reposoir de la photographie

Martin Colombet est photographe. Son travail : portraits tout aussi bien de gens divers, d’un inconnu, d’un ministre, d’un enfant autiste, d’un aventurier. D’africains dans une maison. Une maison dont on ne voit qu’un pan de mur blanc. Cette dissémination présente le texte qui précède ces images sur le site de Martin, un texte composé qui n’est pas simple légende ou suite de notes techniques, mais leur donne de pouvoir entrer dans une histoire, celle du regardant, d’en devenir une part, si petite soit-elle. Elles surgissent et s’installent au sein du récit de sa vie défilante où tant de visions mortes se superposent et s’entrechoquent dans le flou, sans jamais produire de clarté. Ici l’écrit offre à recevoir l’image comme une présence nette, comme une parole humaine (autre, nouvelle, à chaque fois) sur le mur blanc, une parole tranchante qui va jusqu’aux jointures de l’âme déranger le regard et le transformer :

DECEMBER 16, 2013
“AU SQUAT AFRICAIN”
Depuis cinq mois je fais des portraits dans un squat de Belleville, un squat d’africains dans une maison abandonnée. Ils vivent là à dix, parfois plus. Ca va faire une dizaine d’années que la maison s’est transformé en squat, elle devait être plutôt jolie comme maison, dans une petite ruelle sans voitures, avec des arbres et puis des fleurs. Ils vivent tous là et l’été, avec la chaleur, ils préfèrent être dehors, sur le perron. C’est là que je les ai rencontré. Les dimanches ils invitent la famille, s’échangent les nostalgies, parlent du pays, jouent de la musique, chantent, dansent. Rapidement les blessures claquent, se vautrent dans la rue et les âmes s’échauffent aux rythmes des percussions. A chaque fois que je passais devant la maison j’étais happé par une esthétique qui me foudroyait, c’était implacable, je voulais tout prendre. Les visages, les peaux noires au soleil et cette façon de regarder, de se tenir. Un truc dans le dos, et puis dans les yeux aussi.
La première fois que je suis allé les voir, c’était avec un ami. Il en connaissait quelques-uns et il m’a mis à l’aise avec eux. Moi j’étais déjà dans mes photos. Le jour même j’ai fais quelques images, mais la plupart ne voulaient pas encore poser. Il m’a fallu ramener quelques tirages des premiers portraits, et puis manger avec eux, passer du temps sur le trottoir, eux toujours à l’ombre, à fumer ce qui passe et chanter ce qui viens et puis moi, le seul blanc, au soleil. Au milieu de l’été ils ont repeint le mur sur lequel je les prenais en photo. La maison n’avait pas de fenêtres, pas d’eau et pas d’électricité mais le mur il était beau et c’était tout ce qui comptait à ce moment là.


© Martin Colombet 2013






















Le texte en reposoir de la photographie.
J’aime ce titre car il symbolise bien ce que peuvent représenter pour moi les mots vis à vis d’une image. J’ai toujours voulu écrire avec mes photos mais j’ai longtemps été complexé par le fait que je ne savais pas écrire avec style, sans lourdeur, et que je faisais beaucoup de fautes d’orthographe. Je ne voulais pas adopter un style journalistique qui me semblait n’avoir aucun intérêt pour mes photos. 
Les premières fois que j’ai écris et publié sur mon blog, j’étais terrifié par l’idée que les gens allaient me lire, bien plus que ça n’a jamais été pour l’idée qu’ils allaient voir mes images. Je considérais que le texte était bien plus intime et qu’il révélerait sur moi des éléments de ma personnalité que je préférais dissimuler. J’ai toujours eu peur que l’utilisation des mots révèlent « l’infâme cancre » que j’ai été à l’école, et faisait naître en moi un sentiment d’imposture. 
J’essaye modestement aujourd’hui de faire travailler les deux ensemble, tout simplement parce que je trouve qu’ils forment un beau couple et qu’ils me permettent d’enrichir mon propos. Le texte par ses capacités de contextualisation et de narration me permet de faire gagner de la force aux images. Pour les images de « Gilles Pommier » par exemple. Sans le texte, c’est juste un homme au milieu de son jardin. Le texte me permet de dire qu’il est prêtre, homosexuel, séropositif, et de raconter sa vie. Le texte soutient les images précisément là où elles sont faibles je crois.
Martin Colombet
janvier 2014
disséminer les écritures

Mots venus au tournant du chemin :

L’image me laisse nu. C’est tout ce qui me vient à voir. C’est tout vu qui me désempare, m’abandonne, m’efface. L’image est nombreuse, elle tombe sans cesse dans la mémoire. Chacun peut-être débrousse en soi cet amas devenu vague, incertain, comme l’on fouille une décharge publique afin d’en ressortir l’objet, comme l’on trie des cartons pleins pour raviver des ombres. Peut-on écrire sans partir de l’image ? Sans lui tourner le dos pour qu’elle emporte à des étages qui nous sont inconnus la part de soi laissée en elle, qu’on oublie ? Quand elle revient, remonte le moment venu, se re-présente à soi, émerge au sein du confus où l’on cherche, elle refait la surface encombrée de pensées inutiles, délivre sa présence, la livre à mot nouveau. L’on retrouve en elle l’image que nous sommes, de qui l’écrit à sa manière donne à voir la forme, la beauté et le drame.

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