Le blog, un genre d’écriture – gabriels. f.

L’histoire de notre vie aura-t-elle été celle de nos lectures ? demandait un ami dans une lettre ancienne. Il est possible que les livres lèvent une carte de notre évolution, dressent une géographie de nos âges successifs. Et leurs genres ? Permettraient-ils de se « reconnaître »,  de « s’identifier », de me je qui suis en fait sans passion littéraire, plutôt du type oiseau sur la branche, picoreur sans détermination ou si j’avais des livres, ce seraient des « vies », mais je n’ai pas de livres, presque pas. Est-ce l’influence de la forêt qui me fait devenir cueilleur ? J’erre le long des délaissées et je prends le fruit sur l’arbre, ça me convient, mordant dans le « blog littéraire » qui est à ma portée, revenant à l’état de nomadisme qui est au fond celui de la condition humaine. 
De l’émission que proposait à notre écoute Antoine Bréa en vue de cette dissémination, j’ai retenu et noté sur un carré de papier « échapper à toute classification » et « mettre en rapport des choses différentes ». C’est unifier d’une certaine façon, en se passant de la pesanteur d’une définition, en laissant place à l’errance, à la nuit, à l’incertitude, aux trottoirs mouillés. Ce que fait le blog « littéraire », qui n’est pas un genre satisfait de soi, ne nous regarde pas d’un air entendu. On ne peut le ranger, tous les genres peuvent s’y retrouver en coexistence, s’allier, se répondre, s’effacer à leur tour quand il faut. 
Ainsi je passe chez gabriels. f., son blog d’écriture, toujours réactualisable, d’abord parce que se présentent certaines autres idées et projets, et justement parce que cela se modèle au fur et à mesure, pour l’instant, donc, j’y trouve  en suivant le sommaire de ces « choses différentes » qui s’entrecroisent, des lignes, ce qui a trait à un personnage fuyant, des notes parcellaires sur certains films, extraits de journal, nouvelles, récits ou proses « complètes », d’autres choses, expériences, inclassés, un roman dont dont chaque page peut se lire indépendamment (d’ailleurs les pages n’existent pas toutes) et Louise qui garde des appartements de gens absents.
J’aime les blogs de ce genre-là, qui sont une forme où l’on peut aller en étant soi et se cherchant, au contraire des « grands » genres pour qui finalement, de nos jours, le lecteur n’est personne. gabriels. f. c’est une écriture en retenue, paraissant comme sous un voile, qui décline les tonalités du gris, se porte vers ce qui ne se voit pas à l’abord, explore la précision du flou, celui de l’existence de soi et des autres, c’est un regard qui fait ses heures de nuit…
boulevard de dépit (rue du départ)
amer mais j’ai mordu dans rien
tout le monde était de sortie sans moi
et pourtant les rues que je prenais restaient obstinément vides
et mes chaussures ne faisaient aucun bruit sur le trottoir
j’ai fini par arriver sur le 105 boulevard
histoire de voir les gens se parler
et chacun mener son petit travelling
cheverny excusez-moi monsieur
me disait le serveur à chaque passage
car il oubliait sans cesse de me servir
il y a ceux qui sont et ceux qui ne sont pas
c’était cette petite mélancolie détestable
d’un cœur qui hésite entre automne et printemps
et j’entendais sur la terrasse une femme répéter n fois le mot « erreur »
quand résonnait sans cesse dans ma tête le mot « dépit »
passaient de grands cygnes en mode escarpins
des proies et des ombres
des lécheurs de glaces
des costumes rayés genre « pas mal »
le garçon récitait le menu et ses variations
j’entendais un type parler de faux-départs
il me faisait penser à quelqu’un qu’il n’était pas
il y a ceux qui sont et ceux qui ne sont pas
j’imaginais qu’assez loin en face
dans ce grand immeuble d’un autre temps
un homme nous regardait derrière sa haute fenêtre noire
pourtant le spectacle se terminait
et je n’avais même pas envie d’achever le poème
froid de personne
c’est le froid de personne. je regarde souvent la rue vers une ou deux heures du matin, par la fenêtre. quelque chose de fascinant, car rien ne va bouger pendant cinq, six heures. il suffit d’observer quelques minutes pour avoir un aperçu de la nuit en pause longue. je prends soin du décor minimal. on sent bien que le froid cherche à s’abattre sur les passants, mais il n’y a personne. je devine sa rage, je le vois parcourir les rues noires. on dirait un concours d’âmes mortes. parfois une ou deux rares silhouettes pressées, dont on ne distingue rien, juste une forme un peu pliée en trombone, qui avance.
et moi, qui me sens libéré pour quelques heures, je compose avec la fatigue et une lucidité tremblante, qui ouvrent un canal inespéré. c’est comme une rançon sur le rien, sauver quelque inconnu dont vous avez à peine entrevu le visage. ça peut me prendre toute la nuit, jusqu’aux premiers camions. mais c’est le seul moment où je peux inventer un peu l’invisible, le rendre palpable, élastique.

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