Le Coucal du Sénégal (Centropus senegalensis), ventre blanc, manteau roux et longue queue noire, est un oiseau plutôt balourd, essentiellement terrestre, sympathique. L’ayant vu quelquefois dans les environs, je ne pense pas me tromper en lui attribuant la voix que vous entendrez. Je repense à ce texte, peut-être un peu trop sombre, écrit en 2012, au lieu-dit Le pied du boa :
Le vent, les oiseaux, chacun va selon sa ligne, chacun trouve dans le ciel son horizon, mais en bas les hommes ont sous les yeux les cicatrices de la terre, les traces de leurs pas, le sombre éclat des frondaisons, quand la forêt baisse la tête, que chante le coucal triste. Pend un bout d’étoffe grise, traversé d’appels et de plaintes pour indiquer la direction, éluder la mort qui s’approche dans le regard froid de la nuit.
Le 08/10/2024, j’avais publié un tambour dans la nuit, d’assez médiocre qualité. L’enregistrement qui suit (à écouter avec un casque, si possible) rend de meilleure manière l’ambiance particulière de certaines heures nocturnes. Grillons, grenouilles, chant et tambour, quelques éclats de voix que l’on peut entendre avec un peu d’attention. Un climat qui me fait souvenir de celui (fortement dramatisé) décrit par Graham Greene dans son roman Le fond du problème, dont l’intrigue se déroule à Freetown. Les « descriptions africaines » de Greene sont parmi les meilleures (peu nombreuses d’ailleurs) que j’ai pu lire. Seul, à mon sens, Conrad a donné la plus forte image de ce climat, dans Le cœur des ténèbres, justement parce qu’il ne tente pas de décrire ce qui ne peut l’être. Ici, le fond et le cœur sont heureusement beaucoup plus détendus et joyeux.
19/11/2025 20:40
Le fond du problème, Graham Greene, Robert Laffont Le cœur des ténèbres, Joseph Conrad, Gallimard
Barthes, dans un cours au Collège de France intitulé « Comment vivre ensemble », disait que lorsqu’elle se détache de la conjugalité, la chambre, lieu du secret, du trésor (le sexe), isolé dans un lieu total (la maison), devient cellule, lieu ambivalent, à la fois celui d’un combat et celui du refuge de « l’intériorité pacifiante », citant Pascal pour qui le malheur est d’en sortir pour aller se divertir. Selon lui, la chambre est aussi sa propre structure, un réseau très souple des lieux fonctionnels qui se répartissent en elle comme autant de points précis : le lit, la table de travail, les rangements, le lit pouvant être une structure à soi seul, comme celui de la tante Léonie dans la Recherche du temps perdu. Ma chambre n’est pas celle de Léonie, ni celle de Proust, de Jacob ou de Giovanni, mais simplement la chambre de Marcel, dans laquelle j’écris. À ce titre, lieu d’écriture, je la considère comme faisant partie du quartier et vous livre un peu de sa sonorité.
19/11/2025 10:10
La Chambre de Jacob, Virginia Woolf, Éditions Stock La Chambre de Giovanni, James Baldwin, Payot et Rivages
Depuis l’élection présidentielle du 12 octobre dernier, « l’ambiance » dominicale était comme suspendue, accrochée à l’incertitude, à un possible impossible. Le résultat ayant été proclamé, c’est reparti non pas « comme en 14 » mais « en 18 », année du précédent suffrage. L’ambiance reprend ses droits sur la ville. L’enregistreur est placé au centre de l’appartement, ouvert à trois points cardinaux.
Les longues pluies d’octobre (qui tendent à s’espacer, présage d’une arrivée prochaine de la saison sèche), s’alliant aux « choses » de la terre ou aux fabrications humaines, font parfois varier leur musique. Ici, frappant la toiture tôlée d’un abri, de grosses gouttes malicieuses s’adonnent à la percussion.
Pour le trentième audio de cette topographie du quartier (qui reprendra en octobre avec, je l’espère, une nette amélioration de la qualité d’enregistrement), arrêtons-nous un instant devant l’épicerie où je fais régulièrement quelques achats, au bord de la route nationale 1. Le sol est en train d’y être lavé et l’employé en charge de ce travail nous empêche fermement d’entrer. Je m’assois donc sur une caisse heureusement placée là et je savoure une pause sonore toute en vrombissements, voix et percussions.
Bien que l’enregistrement vente, cloque, clique et pète, il n’en rend pas moins compte assez fidèlement du climat sonore d’un moment de vie au quartier, celui du 11 février dernier, à 12:24, quand passe le distributeur agréé du Bome François, créé par un pasteur évangélique affirmant l’avoir reçu d’en-haut et qui a défrayé la chronique l’an passé (Jeune Afrique 23/05/2024). Je ne sais si le boniment diffusé fait consciemment référence à la situation « géopolitique », notamment celle de l’État français qui retire ses troupes de son ex « zone d’influence » en Afrique, cependant la tirade, sous la forme d’un remarquable (et drôle) syllogisme tronqué, « Tout ce qui est franc n’est pas François, donc Bome François ne saurait être baume français » peut le laisser croire. Le baume, en effet sensé calmer les douleurs, ne saurait être français pour les peuples qui ont vécus colonisation ou tutelle. Les plaies sont encore vives, les membres toujours blessés. Et ce ne sont pas les négations, comme celle de François Fillon en 2009 concernant les massacres au Cameroun, ou l’aveugle fureur des droites (à propos ces jours-ci des crimes de l’armée française en Algérie) qui apaiseront les relations entre deux continents, qui selon Senghor sont liés par le nombril. Notons toutefois, que si le Bome François ne saurait être français, il ne peut davantage être baume Francis, ce qui laisse perplexe. Le Bome François n’est ni français ni Francis, nous l’avons compris, il est authentique, authentiquement François (prénom de son « créateur ») c’est-à-dire efficace. En même temps, si « tout ce qui est franc n’est pas François », on peut en douter, même si l’on comprend l’inversion subtile de l’argument commercial. En fin de compte, ce qui rassure le chaland, c’est que le baume est bien François si le vendeur porte un polo et une casquette rouge. Une casquette rouge ? Il y a un type, de l’autre côté de l’océan, qui en porte une, et à qui franchement, on ne peut en rien faire confiance..
Au quartier, il y a le « football de rue » et le « football de stade ». Ce dernier est organisé. Les « vieux » disposent d’une buvette, baraque en surplomb, d’où ils commentent parfois le jeu, entre deux rasades, dans un nuage de poussière.
Non loin, deux cents mètres à vol d’oiseau, mais à vol d’oreille quasiment dans la chambre, une fête de mariage. Toute la nuit, qui commence tôt, flot ininterrompu de musique, vagues d’exclamations, houle de cris. Je me trouve chanceux d’avoir eu trois heures de sommeil. L’intérêt de ce document vient de ce que deux « plans » sonores suivent en parallèle la ligne principale de l’enregistrement : devant, le cliquetis de l’aiguille des secondes du réveil posé sur mon bureau, derrière, le souffle intermittent du nettoyage de l’abattoir qui poursuit son œuvre de mort. Ainsi accompagne l’évènement, que l’on suppose heureux, l’écoulement du temps humain vers sa perspective finale, que j’espère autrement plus paisible que son symbole. Vive les mariés !
Parmi les trains qui passent et cornent, à première ouïe de la même manière, il y a celui de 20 heures. Le train de 20 heures est différent. Il part vers le Nord, contrée mystérieuse. Le train de 20 heures m’obsède un peu. Je le guette. Qu’importe que ce soit en réalité le train de 19 heures 50… c’est à 20 heures (un peu plus d’ailleurs) qu’il me fait signe, me parle…