Tirésias de nuit (16-20 reprise)

si peu, morceaux de langage, que la ville égorge, ingère, broie, d’ailleurs tu longes des abattoirs clandestins (odeur de bucle, sang séché), constamment sur la ville un nuage de mots (étiquetés), fantôme des voix d’en bas qui s’entrelacent, s’entretuent, ça gueule, toujours, plus haut, qu’on parle qu’on se taise, tu l’entends, et ne voudrais pas, la mère vagabonde inspecte encore le tas, sort des informités, déjections de termites, où se trouve ce qu’on espère trouver, en t’éloignant la phrase se répète, dans une langue claire, nouvelle, au plaisir de dire, à ses jeux — tu penses, derrière, la chambre distante, devant, un rat crevé qui semble rire, se moquer, l’enjamber, franchir ce qui ceint d’une gaine de fer, opprime, pas seulement toi, la terre, le désir d’habiter sans contraindre, le don d’exister, tu mesures aussi le retour à faire, l’obscurité, puis aller de nouveau, matin, dans le vide, son immensité, et dans sa jeunesse (si les ciels un jour pouvaient fendre, se déchirer), changer, tu soupires après jouir des nuances, sans trop y attendre (ta lucidité), et sentir la chair tout inoccupée, libre, providente, qui s’accorde enfin à ce nom caché, de toi que tu portes, gardes informulé, des lettres plutôt, des sonorités, jazz interne que tu musiques en tes entrailles, sur ta peau, entendu seul par les deux (tes amours secrètes) — on quête l’absence, la révocation, on rêve de fuir, de se dissiper et réapparaitre — ce mot, nom de toi, que t’écoutes chanter (parfois des comptines), tu l’oublies aussi ; vient le crépuscule, de chaque soir étrange, et ton pas plus lent, ton cœur plus inquiet, lors que les bâtisses se couvrent d’un voile, lingerie de mystère, rentrent leurs dessous, qui pendaient aux grilles où chient des lézards ; fin du midi, plaqué de fer, cours, Tiré, vers l’imprécis, les attouchements de la fraicheur, une confusion qui te libère, ça vit dans les pourtours ce que tu vois, jamais sur l’axe de tout, encore moins toi qui accélères, tes jambes au déclin du jour, à la peine, ça s’écrit avec des poussées d’échine (pas comme font les sexes, au lit, sous les buissons), puis tes membres se désarticulent, brusquement en l’air, brisent le tracé, la règle commune, ton maintien se tord, et les yeux grandissent, ta bouche s’entrouvre, fluide, suce le chemin, les pistes contraires — qui vient de face sent une peur, tu leur prendrais quelque chose, ne frôle personne, on te lyncherait comme volant des bites (pour en faire quoi) happant des flux sanguins — s’approche le bar, on t’y attend dans une niche, un coin, renfont qui pue l’urine le carbone, les coulures de bière, mais d’où l’on observe devant, et comme un traveling à l’écran, la bordure des rues car la lumière baisse, filant te change la durée, calme le temps, tes organes, le déhanchement, bientôt tu boiras du vin très sucré, suivi de liqueur, d’une giclée de crème ; Vénus sourit, on ne se dit rien, si tu le peux étends ton corps, au moins, tes pieds salis bien avancés, on se tient du même côté, et tes cuisses dépassent la table, les mains posées, pourquoi tu marches depuis l’aurore, des milliers d’années — et le sacrifice des bêtes — on regarde la crasse de la toile cirée, ses fissures, le sol à moitié lavé, où scintille l’éclair bruyant des réglettes, les écailles séchées d’enduit sur le bois, Éros raconte, l’air pincé, une passe ratée, près des poubelles, on se comprend au peu de mots, ça pleut, et parce qu’on déteste, la mère arrête la musique, sort du vin de derrière les fagots des Europes ou de l’Amérique, le sert, qu’on boit doucement, l’eau s’efface très vite ; à son tour chacun ne demeure en place, se déploie, revient, et Vénus dit : nos vies hésitantes, lente se redresse, triture son chapeau, annonce que dès lors n’en portera plus, tu le prends, le mets, sa couleur d’agrume, ne fait pas un genre, ta mâchoire épaisse l’ombre l’adoucit, l’alcool te relâche les dents serrées, tu voudrais dormir, aussi dors Tiré dit Éros, même un seul instant, une fraction du temps soustraite à l’abime, au trop dur désert, partout, aux fumées mordantes, qui nous oppressent, et à la vie même que le monde impose, dors, nos rêves tombent de si bas, d’une ile si lointaine ; on sent le corps de la ville, mais du dehors, sans qu’elle nous prenne, le corps de sa mort, la facticité, tout entrecoupe les pensées, on se redresse, ne voudrait pas leur coïncider (Éros : les mâles et les femelles), l’affaissement des yeux, le refus de se voir en face, aussi nus que nous d’un autre langage, la cause de notre épuisement, ce qu’on ne pourra jamais, déceler ni lire dans un seul regard, d’elles et d’eux un signe dévêtu de haine — les gens nous défilent, sur fond de typhus, de malaria, toussent et crachent entre les loupiotes ; on reste là, au centre du disque de poussière, tourmentés, d’extérieur languides mais plein d’insolence, dans les balayures de la fête ; on voit ; on voit : la surface de la ville sans dedans son dedans donc, ses galeries de sons, de clameurs, ne sachant que voir, plus assez de forces pour rêver, pour croire ; on voit : chacun circule dans les tunnels de son cerveau ; on se voit aussi l’un comme l’autre voit – puis on joue à parler se taire, la peau du monde toute ridée, un tombeau, une cavalière, douze oiseaux, verts, le jeu du loto — bientôt le dédale, dédale à refaire, pas ailleurs qu’en soi, là où s’accomplit la transformation, là où ça s’opère, hors des lieux connus — tu rentres, Tiré, dans ton corps non vu, sauf peut-être qu’avec ce chapeau, mais trop de sombres rues, la chaleur du vin, le tranchant de lune sur les restes d’eau, les yeux d’autrui tombant dans les forêts passées, les rivières défuntes, les tiens qui pointent le temps avant l’issue, l’itinéraire à la chambre, où ne s’abrite plus que ton rêve ;


Réponse

  1. Avatar de Caroline D
    Caroline D

    et le coeur qui franchit les sons
    par l’informulé des organes
    depuis la gaine des crânes
    jusqu’à la crasse des clameurs

    pendant ce temps la lune qui ne
    se salit pas – ou si peu

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