Catégorie : Journal de la brousse endormie


  • Lune

     La lune est dans l’oeil
     D’une biche nyctalope
     Que nous chassons
     Jusqu’en notre sommeil,
     Le seul rêve que nous ayons

     Et la seule lueur d’autre part
     C’est la lance de notre nuit
     Qui s’engouffre dans la trouée,
     Dans la faille du temps
     Qui jamais ne dort.

    Miro, Nocturne

     Miro, Nocturne © Galerie Boisserée


  • Autre nocturne

    Cent
    Et cinquante mille ans
    Se heurtent contre les tempes
    Quand s’allume le feu
    Entre nos jambes étendues,
    Le rire et le sang des femmes ;
    — S’enflamment les âges
    Le temps fuit,
    Seulement l’on reste à regarder si bas
    La rouge crépitation,
    L’étoilement de la nuit
    Dans les éclats du bois ;
    Fuse un peu de salive parfois
    Comme un soupir
    De branche qui s’endort,
    Et l’on est longtemps
    Sans rien dire
    Avec au-dessus de nous
    Des montagnes de glace
    Et l’oubli.


  • Devant lui

    Devant lui l’horizon est en lame de verre
    Le rose oblique d’un poinsettia
    Des globes verts pendus aux branches
    L’œil d’un rapace qui se penche
    Le baobab décharné
    Sous l’horizon les mots
    Grincements d’hirondelles à la gorge striée
    Au ventre orange noire ou de fenêtre
    D’eau de rire ou d’ennui
    Et parfois de douleur
    Quand les os sont broyés la nuit
    Et les pensées inquiètes
    Derrière l’horizon d’autres mots
    Ceux qu’il cherche
    Dans la terre à faire les briques
    Dans la gangue des diamants bleus
    Dans les trous du chantier d’or
    Où s’ensevelit le sourire autrefois   
    D’un homme qui porta des chaînes
    D’un homme de peine
    Creusant les bords de la rivière
    Sarclant le champ lourd de repousses                     
    Ôtant les racines amères
    Etalant sur la pierre
    La matière blanche et noire
    La matière des mots
    Grincements d’hirondelles
        dans le jour qui s’éteint

    (2009)


  • Quelques oiseaux

    Des branches basses
    Les merles métalliques
    Raient d’un cri rauque
    La page du jour naissant

    Lamprotornis splendidus

    Là-haut par paire des jacos sifflent
    Séparant l’air de leur vol droit

    Psittacus erithacus

    Les bruits de la ville sont identiques
    Sous le grand cercle des milans

    Milvus migrans

    Un gobe mouche dissone
    Timbre le jardin

    Platysteira cyanea

    La roche craque sous la braise
    Des oiseaux avalent le vent

    Caprimulgus climacurus

    En dents de scie le rire
    D’un martin

    Halcyon senegalensis


    dessin à la craie d'un milan noir
    milan noir 

    Tendre hommage aux oiseaux

  • Un masque

    Le ciel sur la savane
    Des jets d’oiseaux fuyant l’orage
    La nuque du rocher
    Et sa tête penchée vers les pistes

                       L’œil a plusieurs étages

    La main chasse la poussière des tempes
    Et les mouches sur l’étroit front de pierre
    Essaim de souvenirs trop vifs dans l’instant
    Toujours des cris lointains
    Des paroles
    Et des arbres
    Et des ombres qui longent la racine des toits
    Des cases seules sous les fumées
    L’inquiétude inavouée d’un masque qui se repose
    Le dos offert à la rumeur du soir

    Rocher

    confluence

    un rocher du vallon du fruit
    parc de la Vanoise
    tweet de Lionel André
    fleuves & montagnes sans fin


  • Matin recomposé

    Les pistes entrecroisées
    Aiguillent le pas pressé
    Des hommes aux pieds de cendre
    Il a plu dans la nuit
    La chaleur monte lente
    L’orbe des milans noirs
    Dessine le ciel tendre
    L’œil sur la ligne qui serpente
    Lève parfois des cailles bleues
    Et le paysage s’incline
    Tout se conjoint à l’horizon
    La terre brune
    Les rochers
    La parole en sommeil
    Les signes envolés