Après avoir été laissé quelques mois en jachère, Chemin tournant repart, avec un poème du compositeur Jean-Paul Prat, que je vous invite à dire, à voix haute ou basse, mais à voix.
En suite de L’image de la ville, que vous pouvez relire ici, je publierai bientôt La ville est un multicouloir, avant d’aller du Portugal à l’embouchure du Wouri, avec La nuit et le voyage, en cinq étapes d’une pérégrination urbano-maritime. De-ci de-là, se poursuivra la Topographie sonore du quartier .
C’est avec joie que je vous attends poétiquement au tournant.
Le Verbe, ce soir !
I
La danse des nuages, la sarabande de l’outre-mémoire,
le Verbe me manque encore ce soir
plus que les Angélus et les Pater noster,
plus que le rire sonore de naïfs enfants
bondissant sur les vagues de la mer
à l’heure où se retire le soleil rougissant.
Des traits dans le ciel bleu du crépuscule,
le secret des lignes courbes du jour qui s’endort,
le vieillard épuisé qui résiste à la mort
et le chant doux des chouettes qui hululent
quand le vert des prairies tarde à devenir noir,
encore, encore… me manque le Verbe ce soir.
Les polichinelles ont fermé les écluses de la nuit,
il n’est plus temps de regimber,
il est trop tard pour s’attarder
dans le jour finissant, la lumière qui s’enfuit
oubliant le cristal, le rire des bambins
ce soir, sous les étoiles, dans le halo blafard de la lune qui point.
II
De la berge à l’aurore où l’onde glissante a bu
il n’y a qu’un pas, rien qu’un pas, rien de plus ;
courir à bout de souffle entre les bords du vide,
entre l’île et le vent entre l’aube et l’espoir,
gagné par la sourde ivresse, battu par les rapides,
les cascades… encore… le Verbe me manque ce soir !
Déjà les caïmans se chauffent au soleil,
silencieux, comme des troncs d’arbres morts ;
la poussière, les éclairs, les trilles des oiseaux,
les croas des corneilles, les hiiis des chevaux,
rien ne pourra jamais les tirer du sommeil…
Ce soir le Verbe me manque si fort
Si forts sont les andins nés de la pourriture,
tirant tout droit sur des sols desséchés ;
bien sûr il faut attendre, bien sûr il faut lutter
et pleurer en entendant les cris de la nature.
Les bergères ont déjà rangé dans leurs couffins
leurs livres, leurs tricots, leur cœur… jusqu’au petit matin.
III
S’arrêter un instant sous le chagrin des arbres morts
et ne plus guerroyer !
La lune s’est cachée sous des rideaux de brume,
frissons d’agave, parfum d’agrumes,
le monde a vacillé…
Se jouer des tourments dans la nuit qui s’endort.
Clapotis, bruissements, sérénade des feuilles sous le vent
quand le passé frappe à la porte
et qu’il ne reste plus que des gémissements
que la colère emporte,
le cri des hiboux, le vert, le blanc, le noir…
et le manque du Verbe, ce soir !
S’allongent les plis de lassitude
comme un drap de lin bleu froissé par le sommeil ;
les bêtes se sont tues, sonne la solitude
et le roucoulement du pigeon qui s’éveille ;
le matin a tout pris : les oiseaux, la poussière, le silence…
des pas sur le gravier… le secret de l’aube se balance !
© Jean-Paul Prat












