entrés, dans la ville et sur, le quelque-chose-se-faisant change, un creux qui se creuse lui-même, en lui-même et nous qui entrons, sans but, sans artifice, franchir, lire, dé-lirer, mille signaux, mille clartés troubles, douteuses, ce peu du bonheur, pacifiant, de pour une fois n’attendre rien, que la réflexion des surfaces, le jeu d’un miroitement, se et ne pas se, laisser voir, s’insinuer, glisser nageurs, oubliés du temps, par le flanc, rues, marché, boutiques, nous marchant, la dévêtir, à notre façon, mauvaises manières, lui faire le plan, avec les traces qu’on laisse en l’air, lever sa chair, cicatrices, non vues des gens, ses blessures internes, son sang, de terre, de bord, pas à soi, sa dérive, les petits tremblements, tourbe forestière, sol marin, mystérieux naufrages, le vent
suivons la route encore humide — ce qui s’écoule de nous — une ligne étrangère, un bord sans fin, gris bitume, gris sable, gris mer, et ce pesant désert du ciel, où
l’on n’ira pas, tient tête à notre faim de clarté sa tristesse — les choses prennent couleurs humaines — allons, se moulant dans la précise lenteur du jour, son contretemps
ses contrepeines, marchons à hauteur de nous, sans voir si ça nous mène et si un horizon, devant l’endroit, derrière nos pas qui trainent au pourtour de tout — on s’avance —
en file indigène, sans mots, paisibles d’apparence, sur la longueur vers Babylone, les gens se disent quand même ce qu’ils pensent, croient d’eux, des petits faits, cousus —
nous rien du tout, ce tout qu’on ignore, aimant le silence, le nu, mais aussi l’inconvenant, le disparate, ce qui surprend d’une conversation, scruter l’air de l’autre qui —
marche alors que nous marchons, cherche de son œil hypocrite la direction, on file seulement la cicatrice du goudron, ses boursoufflures, les petits trous, anus d’où —
sort une herbe vivante, parfois des bêtes fourmillantes, trottinent à l’air — elles creusent des tonnes, la matière, veinurent, aèrent, vont, telles qu’un train, dans la brousse,
sinue, parmi les vertes végétations, consulte, caou-tch ouc-caou-tchouc soufflait-il hier, un catalogue de vestiges cachés, tus, entre fossilité/putréfaction — reprenons notre
chemin, raclant les gommes — nous irons visiter le musée de la locomotive tutélaire, témoin des travaux-forcés, à l’époque des trusts sanguinaires, des morts par pi
qures de tsé-tsé — arrivent nous croisant en face, d’abord des motocyclettes, ventres emballés de polyane ou similicuir, puis des camions, à revers les mêmes, (quoi dedans :
on imagine), l’instant du vide, quand ils passent, un bref tourbillon de feuilles sèches, et films plastiques — bientôt la ville, très côtière, sa cathédrale et son canon sur
l’Atlantique — nous marchons alors qu’ils marchent, pas de notre côté, on entre dans, presque en rêve, étourdis par l’odeur nomade, du sel et d’une pizza aux quatre fromages
on revient se rendort dans la case muette, rassurés qu’à l’entour les sons, grenouilles crapauds de mer, et ce ronflement de machine-avant, machine-arrière, le branle des premières autos, l’odeur soudaine de citrus et de peau, d’eau calme entre les cuisses, le jour qui point, se dresse hors des chiffons, Babylone l’océan, son ennui de vivre autrement, la vieille loco du chemin de fer, le vieux tronc où l’on s’assoit, sa plage puante, ses poubelles, des oiseaux dans les cocotiers qui chantent, on voudrait ne penser qu’à rien, et que la violence s’efface, la fatigue aussi, nôtre, antique, plus âgée que le temps, tout, qui ne disparait qu’en un même regard, approché sur la route, où l’on va, doucement, en gardant ses promesses, le peut-être qu’un jour, mais l’usure, de soi, de ce monde-là, on marche à pas de chat, sur le sommet d’un mur, dans la ville se dire, allons au bout du jour, parmi les rues, les boutiques, sous le tissu, sans un sourire, aventurer sa main, manger un quelque-chose, du peu, avant de revenir
la pluie lave tant la nuit qu’elle devient noir réglisse, ses gouttes ploquent sang le sol les surfaces, percent la vitre du temps, l’enduisent de sa graisse, elle si forte qui rabat le vent, si grand, tient le large en ses mains de pluie, étouffe le bruit non sien, la ville la mer on sous trois-cent-mille tonnes de silence, un dernier floc, le trou, l’obscurité mouillée qui nous aspire, comme au village des orpailleurs, le père descendait, avant que l’on s’exile, toujours plus, se courbait au fond, dans la boue, creusait, le trou, pour des grammes de rien, sucé jusqu’au front, tété par la terre — il fallait raser tout un chien pour vaincre les eaux — on tirait le volet sur nous, là le ciel s’éventre, livre ses boyaux, d’une autre manière, bien que l’on ne sache si l’on vit encore ou que l’hébétude, ou que la noyade, du vent, des lucioles, le renversement, la lourdeur des mots — chien nu ne rompt pas les flots, dit Vénus qui sort, et puis ça s’arrête, dégouline un peu, on part ramasser plein de poissons morts et des écrevettes —
un ciel plaqué de fer la tôle le jour humide sans trace des avions sans rayures d’oiseaux voute plane contre elle notre perplexité rien qui ne la sépare de ce bas gris fumée si lent si presque inerte sauf un trait qui s’incline sur quoi vont des bateaux de grands voiliers parfois que l’on devine et d’épaisses nuées un trop-plein de menaces sous la coupe du vent mais ne bougent ici que le peu de nous-même le désœuvré de soi tremper ses pieds dans l’eau qui se démène, plus grise que le haut, un bandeau sur la page, un livre inexistant, ça nous dit pas grand-chose, sauf qu’on pourrait partir, sortir de cette poisse, de tout cet engluement, quand nous prend le chagrin, la pesanteur du temps, la vague, vague, vague vague, qu’une pirogue fend le sable ses veinules son pelage de bête étendue sur le flanc l’amas noir des rochers le bois flotté flottant dans l’ombre dense oisive sous les arbres comme un corps de noyé des maisons que l’on voit derrière qui nous patientent le calme malgré tout quand on rentre le soir —
Éros s’endort, corps sur nuit, lune entière, et chevaux marins, le premier rouge, le second vert, d’autres bistres, leurs cavaliers, barbares, la tête hors du flot, des papillons nageant, au milieu du plastique, entre les déjections, des huiles de surface, et des cadavres au fond, les décombres d’une ville antique, Éros dort, Éros s’agite, crawle dans sa sueur, brasse sur les plis du drap, fuyant un poulpe-drone et son œil multiple, la vrombure des hélices, alors que vient d’en bas, un banc fantasmatique de carrelets géants, il court le long d’une rue, d’une ville inhabitée, sous un ciel rose bonbon, et des nuages pers, en direction de rien, retourne sur lui-même, à l’entrée d’une boutique, le bruit que cette eau fait, de choses qu’une main froisse, des sachets en papier, et cette odeur du vent, et ce gout de crevette, là juste au bout des doigts contre sa bouche ouverte, ses jambes qu’il replie, le verre noir de suie, l’air ivre de pétrole, sur la route les gens repassent, ce bruit, un bruit de plainte, le cri des pêcheurs
elle très bas, on l’entend gronder — le film cloque — souffre de spasmes, nous qui partons en arrière, avec du whisky dans les verres (standing auquel nous tenons), des bestioles aussi — et cette fin de lumière, une lampe qui crépite ; le gout des feuilles amères, métal des sardines ; nous buvons à nos morts et nous-mêmes, on se renverse, toujours ce bruit et elle si bas que derrière, des reflets tremblotants, le pagne des sirènes, l’empirisme des questions que nous feignons pour rire, Éros dit : l’alcool descend dans ma nuit très fort et ne chante que si le corps
on mouille, dans l’épais de l’air, la lucidité, loin du remuement — transformés, lagunes — volent-y des oiseaux nocturnes voyageant sur l’eau ; il répond que oui, qu’on les nomme bateaux — tant soudain l’image : toute horizontale ; on se verse, chaque heure presque, pour vider le chaud, le fond de son verre, la dernière goulée — puis ça crisse partout, jusque sous nos pieds, le bruit redescend, d’où elle redescend — qui le sait — issu de matrice(s) dans l’en bas l’en haut, de ce quoi du monde que nous cherchons, le temps et la joie d’une vie profonde
il parle, nous parlons, pas moins que d’autres, du vent, brise ou grain, états intermédiaires, l’effet sur les épidermes, si ça colle ou rafraichit, pousse au contraire de ce qu’on veut faire — mais d’abord comment se glisser dedans ; vivre en l’air ; rompre le pesant ; on avise a little egret, déroutée peut-être, lentes saccades, ses pas — sa fuite cou rentré, son envol incertain ; peut-on ne pas se départir, de chaque joie, d’un frais matin, à l’océan ou de cette angoisse, qui prend, malmène au point où l’on voudrait rester, sans férir — avec ses rêves nécessaires —
le bruit, ce bruit-là, surgissant quand du somme, il se réveille, s’extrait d’un trou (les années), d’un plus réel que l’instant terne, passé — il dit qu’il pêche dans les enfers ; mais on se promène où de gros rochers, des monstres de mer, leurs yeux immobiles ; marcher ainsi ramène à ce vide en soi qui, le souffle, le regard des choses qu’on ignore, relâche le continu, la vitesse des jours, l’étire — on se trempe les pieds seulement sur la frontière, l’eau lèche nos chevilles, sans se dire du quoi ; elle poisse dans l’image, le soleil décroit, nous rentrons — souls de désir ;
ça fuit par les côtés, à grands traits et petites touches, mouvantes fixités — la première fois savoir où se rendre — devant, on ne peut aller, devant : le bruit, l’image, les couleurs superposées : brun d’épaule (que tu découvres), gris de coque (avec écume), fond de poêle acier, proches d’une monotonie, devant : les naufrages, la naissance ; il dit : s’insinuer entre courants, ce que les poissons, mais sur terre, aux bords de langue ; derrière, une route, ses camions, des cyclistes qui vont, sans toutes les questions qu’il traine, à partir de ce bas désert, irons-nous plus loin ;
lui sur (ou sous) l’étroite véranda (qu’importe, si l’on peut s’étendre) face à elle, l’image-photo qui transpire, pleine d’un embrun nocturne, au-dedans l’âme, dehors la peau, ça dégouline déjà tôt, de sueur, de pensée, plaisir, sans l’envie de se recoucher, les songes passés fabriquent-ils le jour, il tente de se souvenir ; on mange une chair très orangée, presque rouge et du citron vert, boit du café très terre, raciné, où surnagent fleurs, cerises, béton brulant, l’odeur de l’amour ; pieds contre l’âge des carreaux, leurs fentes, disjointures renflées, semblables aux plis intimes ;
Après Éros dans et hors de son lit, Vénus en son salon et Tirésias de nuit, vous est offert en supplément Éros au bord de l’eau. Les trois, ayant quitté la ville, se retrouvent sur le littoral atlantique.
Saïd Zekri (détail)
entré par l’anse, mouvemente, brouille, un bruit d’abord plus en vue qu’en écoute — laisse l’avant (rue-chambre se déficèlent) — il t’emporte, si neuf, te conduit, mais l’oubli, la peur de lancinent — au premier sommeil, avec ce bruit, Éros rêve la maison, l’ancienne, toute de terre qui resplendissait, au-dessus d’où l’on passait, un nuage (comment dire mieux), la granulosité du mot ; cela revient, et le regret : pas assez joui, frissonné des instants — maintenant ce bruit, son temps qui plusieurs, rapporte aussi le reste d’une vie, toujours intérieure, aux secondes ;
le même bruit qu’on voit, qu’on entend : l’image-son qui t’obsède l’esprit, te prend, quand laissent les maux de ventre, sinon on envoie tout au caniveau ; Éros, titubant, se lève, en tête la maison, vraie mais déshabitée, produit encore son effet dans le corps, le cerveau et s’ajoute au bruit, réflexion — le retour, cette joie-victoire, d’un jour au moins, d’une heure, sans la sauvagerie du monde, le seuil brillait du couchant, sur les chaussures, le ciment et de paisibles mouches — l’image s’adjoint le vent, Éros sort, marche loin, revient, regarde les corps beaux de mer,